À 1 350 mètres d’altitude, à Morissen (GR), un couple zurichois a fait construire une maison en bois ancrée dans la pente. Loin de toute agitation, elle s’ouvre largement sur le paysage, conçue comme un refuge sobre, où chaque détail contribue au confort et à la sérénité. Pendant le Covid, Claudia et Emanuel quittent Zurich pour « se mettre au vert » dans un val qu’ils connaissent bien, le val Lumnezia (qui signifie “lumière” en romanche), idéal pour traverser cette période compliquée. La région les séduit par sa beauté et sa douceur depuis de nombreuses années. Bien que proche de Flims et Laax, stations très prisées pour le ski, le village de Morissen contraste par son calme.
« Ici, il n’y a presque aucune infrastructure, mais un super restaurant : il Mulin ! » sourit Emanuel.



























Séduits par un terrain offrant une vue spectaculaire et une pente vertigineuse, le couple n’y voit pas les contraintes, mais l’occasion rêvée de tout imaginer à partir de rien. Ils prennent le temps ; une année de préparation, accompagnée d’une étude approfondie pour trouver les bons architectes, sera suivie de six mois de chantier. Pour aboutir à une maison entièrement en bois, une cabane contemporaine montée sans clous ni vis, assemblée à l’ancienne. Préfabriquée en Autriche, la structure a été installée en cinq jours.
Une architecture qui respire
Emanuel pratique le yoga depuis vingt ans, il s’intéresser à l’architecture asiatique, à ses règles d’orientation et de circulation du chi. Avec Claudia, ils voulaient une maison simple, débarrassée de la technique, où la lumière guide le rythme de la journée. Le choix des architectes s’est imposé après de longues recherches : le duo autrichien Berktold-Weber, un couple formé dans la tradition du Vorarlberg, région pionnière de l’architecture alpine contemporaine : « Nous tenions à avoir une influence féminine et masculine, le yin et le yang. Avec eux, nous étions comblés ! Par exemple, ils prennent le temps d’étudier la course du soleil, les ombres, le relief, avant de dessiner quoi que ce soit. Lors de nos conversations, ils nous ont rapidement demandé où devait être la lumière et où nous désirions le soleil direct. ». Raconte Emanuel. Prouesse architecturale, la maison suit la pente du terrain, presque comme si elle en faisait partie. Son ossature repose sur un socle en béton brut ; le reste est en sapin blanc, choisi pour sa clarté et sa stabilité dans le temps. De l’extérieur, la façade verticale en mélèze rappelle les anciennes granges, ainsi chaque planche projette son ombre sur la suivante, limitant la variation de teinte au fil des années. De l’intérieur, le bois blond de sapin blanc absorbe la lumière et diffuse une chaleur douce, quasi monastique.
L’esprit de la cabane
L’entrée de la maison libère la perspective vers la cage d’escalier qui grimpe jusqu’à la majestueuse pièce à vivre. Avant de la découvrir, on se glisse sur la gauche et l’on suit une longue baie vitrée menant à la chambre principale. À cet étage, les 2 chambres, distribuées de façon séquentielle, chacune accompagnée d’une salle de bain, offrent un rapport différent à la montagne. Pas de surenchère décorative, juste des proportions, des matières et le plaisir du vide quand on regarde par la fenêtre. Les murs s’animent de nuances de vert sauge ; les pièces respirent la quiétude, avec quelques meubles simples, issus de la petite manufacture artisanale Raïna.
On gravit enfin cet escalier… et on ouvre grand les yeux. La pièce est monumentale, le plafond cathédrale crée un volume impressionnant. Selon le souhait des propriétaires, le matin, la lumière s’invite dans la cuisine et réchauffe la surface de la table à manger, à midi, elle glisse sur le béton du sol, et le soir, elle s’allonge dans le salon en prenant des teintes dorées. Les architectes ont joué avec elle comme avec une matière vivante. Une grande baie fixe cadre le couchant, on s’installe à ses côtés, sur un canapé moelleux, pour profiter des derniers rayons du soleil. Une cheminée en granit, dotée d’un système de restitution de chaleur, affine encore la beauté de la pièce : « La cheminée suffit à tout chauffer pendant vingt-quatre heures. En parallèle, le chauffage au sol apporte un confort immédiat », précise Emanuel.
Selon les principes architecturaux inspirés du feng shui, aucune fenêtre n’est placée en vis-à-vis, afin de préserver l’énergie intérieure. La pièce principale s’ouvre sur deux terrasses : l’avant-toit de celle située au sud filtre le soleil direct ; une loggia creusée dans le volume, protégée du vent et orientée vers la vue, offre un espace parfait pour s’installer avec une tasse de thé chaud en hiver. Au nord, la terrasse face aux sapins reste fraîche en été ; c’est là que le bois de chauffage est stocké. Le vaste claustra qui la surplombe fait écho à la verticalité des arbres.
La cuisine, dessinée avec un artisan local, reprend les teintes du granit de la cheminée. Ses façades en gris mat s’accordent au bois clair des parois et au plan de travail en inox. Au-dessus, trois suspensions cylindriques noires rythment l’espace, tandis qu’à quelques pas, les plafonniers japonais flottent comme des lunes blanches.
Une constante : la lumière adoucie, indirecte, jamais frontale : « Nous tenions à des lampes en papier japonais, comme un clin d’œil à l’esprit zen de la maison. Elles ont mis un an avant d’arriver du Japon, mais lorsqu’on les a allumées pour la première fois, la maison a semblé complète. ».
La douceur des matériaux bruts
Les matériaux et coloris sont peu nombreux mais justes. Le sol en béton brut poncé, le bois clair omniprésent, la cuisine et la cheminée dans des teintes grises chaleureuses composent la palette. Trois couleurs, pas une de plus. Les lignes sont pures, les volumes équilibrés. Rien ne cherche à attirer l’œil, tout vise la cohérence.
Aucune plinthe au sol ; cette prouesse témoigne du soin apporté à chaque détail, jusqu’à la jonction délicate entre béton et paroi en bois, confiée à un artisan allemand venu exprès pour la réaliser.
Au rez inférieur, un espace de yoga en béton brut, rehaussé de tatamis, où Emanuel pratique chaque jour le yoga et la méditation, accompagné de Pablo, leur chien. C’est sa pièce préférée, dépouillée, dense, silencieuse. Quand c’est nécessaire, elle se transforme en chambre d’amis. Dans son prolongement, le deck en bois s’avance dans le vide, suspendu entre ciel et montagne. La vue s’y déploie sans limite, donnant à celui qui s’y tient l’étrange sensation de flotter.
De l’extérieur, la maison se fond dans la pente et le paysage. L’hiver, la neige souligne sa géométrie ; l’été, les bois environnants reprennent le ton de sa façade.
Emanuel aime dire que la maison n’a pas besoin d’être entretenue, seulement regardée. Il résume l’esprit du lieu d’un mot en romanche : pacific (tranquille). Un calme dense, presque physique, qui s’installe dès le seuil franchi. Une maison sans effet, mais avec un effet certain.

You must be logged in to post a comment.