Perché à près de 2000 mètres d’altitude, sur les hauteurs escarpées de Zinal, le temps suspend son vol. Il faut mériter l’arrivée : une montée ardue par un sentier de montagne mène à l’alpage de Cottier. Jadis réservé aux vaches d’Hérens, ce refuge alpin accueille désormais à l’année un duo atypique : Sarah Huber et Stéphane Genoud. Ici, entre prairies sauvages, ruches migrantes et herbes médicinales, la nature impose son tempo. Le couple a choisi de s’accorder à cette symphonie sauvage.









































Il y a encore quelques années, Sarah et Stéphane vivaient à Genève. Sarah, économiste spécialisée dans les politiques publiques liées au territoire et à la durabilité, travaillait à rendre le monde meilleur… depuis un bureau, derrière deux écrans. Un quotidien urbain, cérébral, engagé — mais désincarné. « J’avais besoin de faire, de la manière qui me semble juste, plutôt que d’attendre que d’autres veuillent bien changer. Et aussi de mettre les mains dans la terre, de me relier au vivant » Alors, pas de coup de tête ni de claquage de porte, mais un glissement progressif, lucide et assumé. Un jour, ils ont quitté Genève. Et depuis, ils respirent autrement.
Un retour à la terre, littéralement
« J’ai troqué les réunions pour les saisons. » — Sarah Huber
C’est Stéphane, son compagnon, qui l’a menée à cet alpage perché. Lui est originaire de Zinal. Enfant, il venait jouer à Cottier. Ensemble, ils cherchaient un refuge, un lieu à reconstruire. Lorsqu’ils découvrent les bâtisses en ruine, sans accès carrossable, le projet semble fou. Ils abandonnent l’idée. Mais quelque temps plus tard, à l’insistance d’une amie qui visitait le même endroit et le voyait comme parfait pour le couple, ils y retournent. Cette fois, c’est une évidence. Il leur faudra trois étés pour restaurer l’ensemble : élargir le chemin, acheminer les matériaux avec une chenillette électrique et un mini-tracteur, faire venir un artisan menuisier solitaire qui dort sous tente, reconstituer les murs en pierre, respecter les contraintes patrimoniales… Le résultat est saisissant de sobriété et de cohérence. Mélèze local, murs de pierre sèche coffrés, eau de source et énergies renouvelables. Tout est pensé pour durer, sans trahir l’esprit du lieu.
Une décoration enracinée
À l’intérieur, la décoration prolonge le paysage. Rien d’ostentatoire, ici : tout est brut, apaisé, chaleureux. La laine, le lin, le bois brut et le cuir forment une palette de matières naturelles, choisies pour leur intemporalité autant que pour leur capacité à vieillir avec grâce. Le sol en mélèze grince doucement sous les pas. Les murs, blanchis à la chaux, reflètent la lumière avec douceur, même en plein hiver. Sarah a dessiné tous les meubles en mélèze réalisés par un artisan : la cuisine, la bibliothèque, la salle de bain. « Le temps long du projet a laissé mûrir chaque objet », confie Sarah. L’atmosphère, le soir, est presque monacale : une lumière ambrée, des ombres douces, un feu qui crépite dans un poêle en fonte noir mat, pièce maîtresse du séjour.
Une seule entorse aux matériaux naturels : les chaises Eames de la cuisine. Blanches, légères, design, elles forment un contraste assumé avec le bois omniprésent. « Elles me rappellent que j’ai aussi habité un autre monde », sourit Sarah. Ce subtil télescopage des esthétiques raconte, en creux, le parcours de reconversion qu’elle a choisi : un pont entre pensée et action, entre ville et montagne, entre design et matière brute. Dans ce chalet restauré, l’intérieur ne cherche pas à rivaliser avec l’extérieur : il s’efface avec humilité pour laisser entrer la lumière, les saisons, et le souffle du vent.
L’herboristerie, un jardin intérieur
« Chaque fleur, feuille ou racine cueillie est un cadeau offert par les plantes. Je leur en suis très reconnaissante. » — Sarah Huber
Petite, Sarah se levait à l’aube pour jardiner avec son grand-père, pendant que ses camarades d’école dormaient encore. Ces instants volés au silence du matin, les mains dans la terre, sont devenus de précieux souvenirs. Ils ont semé les premières graines d’une sensibilité profonde au monde végétal, devenue aujourd’hui le cœur de sa vie. Pendant deux ans, elle suit une formation d’herboriste tout en cultivant le jardin de l’alpage. D’abord modeste, ce lopin devient peu à peu un véritable écrin végétal, où les espèces médicinales s’épanouissent lentement, au rythme des saisons et des caprices du climat. Edelweiss, bourrache, camomille, bardane, arnica, consoude… Chaque plante a son histoire, ses vertus, sa façon de pousser. À 2000 mètres, tout prend plus de temps. La terre est maigre, les nuits fraîches, le soleil plus intense. Il faut apprendre à composer, à patienter. Sarah travaille en biodynamie, sèche ses cueillettes avec douceur, et utilise des huiles végétales bio de grande qualité. Pas de production de masse, pas de rendement imposé. Juste de petits lots faits à la main, avec attention. Elle se voit plus comme une jardinière que comme une cueilleuse. Elle sème, soigne, récolte — et recommence. « L’herboristerie m’a appris à ralentir, à observer, à faire confiance. À ne pas tout vouloir tout de suite. » Dans l’atelier adjacent à la maison, chaque fiole, chaque bocal semble avoir trouvé sa place. Le lieu sent le foin sec, le bois et les infusions à peine tiédies. On y entre comme dans un sanctuaire du vivant, où la matière se fait presque invisible tant elle est respectée.
Partager, mais sans se disperser
Si Sarah est profondément ancrée dans sa solitude active, elle aime aussi transmettre. Chaque été, elle propose des journées découvertes avec initiation à la cosmétique naturelle et fabrication de baumes, et tous les vendredis, elle ouvre son jardin aux visiteurs curieux. Ses produits —huiles de soin infusées de plantes, baumes, crèmes — sont vendus dans les villages de la vallée, sur les marchés, et dans quelques boutiques à Lausanne et Genève. Elle privilégie toujours les circuits courts, les échanges humains, les liens tissés avec patience. Elle reçoit parfois des thérapeutes, des botanistes ou de simples passionnés venus partager une balade, une cueillette, ou une tisane au coin du feu. « Ce n’est pas une activité commerciale, c’est une manière d’être ensemble. D’apprendre des autres sans perdre son ancrage. »
Une vie rythmée par la nature
« Vivre ici, c’est accepter de ne pas tout maîtriser. C’est un apprentissage de l’humilité et de l’adaptation » — Sarah Huber
À Cottier, ce sont les plantes, les animaux, le vent et le soleil qui décident du programme. En été, une décoction de prêle ne se fait que très tôt, un matin sec. En hiver, les animaux sont nourris en fin de journée, juste avant les températures les plus basses, ils s’adaptent d’ailleurs très bien aux humeurs du climat. La « ménagerie » du mayen comprend des poules Appenzelloises huppées qui fait partie des espèces en voie de disparition que la Fondation ProSpecieRara essaie de sauver. Deux ânesses, trois chèvres col noir du Valais, et bien sûr les vaches d’Hérens qui montent en été depuis le village de Mission. Et puis il y a les abeilles, qui transhument elles aussi : un peu plus bas dans la vallée en hiver, à Cottier en été Le couple travaille également beaucoup à l’entretien de l’alpage, les coupes de bois pour se chauffer, le maintien du réseau d’eau, la réparation des parcs et des chemins sont des travaux incontournables. Stéphane descend travailler en plaine presque chaque jour, à pied, un moment savouré. Le soir le retour à Cottier est toujours un plaisir.
Un regard apaisé sur le chemin parcouru
«A Cottier je poursuis un chemin qui me mène toujours plus proche des autres vivants.»
La journée quand Stéphane est en plaine, Sarah vit dans ce qu’elle appelle un « silence peuplé ». Le vent dans les arbres, la rivière, les pas des bêtes, le bruissement des feuilles : ici, le silence parle. Elle passe de longues heures seule, mais jamais isolée. Quand elle repense à sa vie d’avant, Sarah ne parle pas de cassure. Elle évoque un fil rouge, un alignement progressif entre ses valeurs et ses gestes. « Tout ce que j’ai fait avant m’a menée ici. Je n’ai jamais eu l’impression de renier quoi que ce soit. » Aujourd’hui, elle se sent libre. Libre d’être ici, libre de se poser la question d’un ailleurs. Mais surtout, libre d’habiter pleinement le présent.Il y a encore quelques années, Sarah et Stéphane vivaient à Genève. Sarah, économiste spécialisée dans les politiques publiques liées au territoire et à la durabilité, travaillait à rendre le monde meilleur… depuis un bureau, derrière deux écrans. Un quotidien urbain, cérébral, engagé — mais désincarné. « J’avais besoin de faire, de la manière qui me semble juste, plutôt que d’attendre que d’autres veuillent bien changer. Et aussi de mettre les mains dans la terre, de me relier au vivant » Alors, pas de coup de tête ni de claquage de porte, mais un glissement progressif, lucide et assumé. Un jour, ils ont quitté Genève. Et depuis, ils respirent autrement.
Un retour à la terre, littéralement
« J’ai troqué les réunions pour les saisons. » — Sarah Huber
C’est Stéphane, son compagnon, qui l’a menée à cet alpage perché. Lui est originaire de Zinal. Enfant, il venait jouer à Cottier. Ensemble, ils cherchaient un refuge, un lieu à reconstruire. Lorsqu’ils découvrent les bâtisses en ruine, sans accès carrossable, le projet semble fou. Ils abandonnent l’idée. Mais quelque temps plus tard, à l’insistance d’une amie qui visitait le même endroit et le voyait comme parfait pour le couple, ils y retournent. Cette fois, c’est une évidence. Il leur faudra trois étés pour restaurer l’ensemble : élargir le chemin, acheminer les matériaux avec une chenillette électrique et un mini-tracteur, faire venir un artisan menuisier solitaire qui dort sous tente, reconstituer les murs en pierre, respecter les contraintes patrimoniales… Le résultat est saisissant de sobriété et de cohérence. Mélèze local, murs de pierre sèche coffrés, eau de source et énergies renouvelables. Tout est pensé pour durer, sans trahir l’esprit du lieu.
Une décoration enracinée
À l’intérieur, la décoration prolonge le paysage. Rien d’ostentatoire, ici : tout est brut, apaisé, chaleureux. La laine, le lin, le bois brut et le cuir forment une palette de matières naturelles, choisies pour leur intemporalité autant que pour leur capacité à vieillir avec grâce. Le sol en mélèze grince doucement sous les pas. Les murs, blanchis à la chaux, reflètent la lumière avec douceur, même en plein hiver. Sarah a dessiné tous les meubles en mélèze réalisés par un artisan : la cuisine, la bibliothèque, la salle de bain. « Le temps long du projet a laissé mûrir chaque objet », confie Sarah. L’atmosphère, le soir, est presque monacale : une lumière ambrée, des ombres douces, un feu qui crépite dans un poêle en fonte noir mat, pièce maîtresse du séjour.
Une seule entorse aux matériaux naturels : les chaises Eames de la cuisine. Blanches, légères, design, elles forment un contraste assumé avec le bois omniprésent. « Elles me rappellent que j’ai aussi habité un autre monde », sourit Sarah. Ce subtil télescopage des esthétiques raconte, en creux, le parcours de reconversion qu’elle a choisi : un pont entre pensée et action, entre ville et montagne, entre design et matière brute. Dans ce chalet restauré, l’intérieur ne cherche pas à rivaliser avec l’extérieur : il s’efface avec humilité pour laisser entrer la lumière, les saisons, et le souffle du vent.
L’herboristerie, un jardin intérieur
« Chaque fleur, feuille ou racine cueillie est un cadeau offert par les plantes. Je leur en suis très reconnaissante. » — Sarah Huber
Petite, Sarah se levait à l’aube pour jardiner avec son grand-père, pendant que ses camarades d’école dormaient encore. Ces instants volés au silence du matin, les mains dans la terre, sont devenus de précieux souvenirs. Ils ont semé les premières graines d’une sensibilité profonde au monde végétal, devenue aujourd’hui le cœur de sa vie. Pendant deux ans, elle suit une formation d’herboriste tout en cultivant le jardin de l’alpage. D’abord modeste, ce lopin devient peu à peu un véritable écrin végétal, où les espèces médicinales s’épanouissent lentement, au rythme des saisons et des caprices du climat. Edelweiss, bourrache, camomille, bardane, arnica, consoude… Chaque plante a son histoire, ses vertus, sa façon de pousser. À 2000 mètres, tout prend plus de temps. La terre est maigre, les nuits fraîches, le soleil plus intense. Il faut apprendre à composer, à patienter. Sarah travaille en biodynamie, sèche ses cueillettes avec douceur, et utilise des huiles végétales bio de grande qualité. Pas de production de masse, pas de rendement imposé. Juste de petits lots faits à la main, avec attention. Elle se voit plus comme une jardinière que comme une cueilleuse. Elle sème, soigne, récolte — et recommence. « L’herboristerie m’a appris à ralentir, à observer, à faire confiance. À ne pas tout vouloir tout de suite. » Dans l’atelier adjacent à la maison, chaque fiole, chaque bocal semble avoir trouvé sa place. Le lieu sent le foin sec, le bois et les infusions à peine tiédies. On y entre comme dans un sanctuaire du vivant, où la matière se fait presque invisible tant elle est respectée.
Partager, mais sans se disperser
Si Sarah est profondément ancrée dans sa solitude active, elle aime aussi transmettre. Chaque été, elle propose des journées découvertes avec initiation à la cosmétique naturelle et fabrication de baumes, et tous les vendredis, elle ouvre son jardin aux visiteurs curieux. Ses produits —huiles de soin infusées de plantes, baumes, crèmes — sont vendus dans les villages de la vallée, sur les marchés, et dans quelques boutiques à Lausanne et Genève. Elle privilégie toujours les circuits courts, les échanges humains, les liens tissés avec patience. Elle reçoit parfois des thérapeutes, des botanistes ou de simples passionnés venus partager une balade, une cueillette, ou une tisane au coin du feu. « Ce n’est pas une activité commerciale, c’est une manière d’être ensemble. D’apprendre des autres sans perdre son ancrage. »
Une vie rythmée par la nature
« Vivre ici, c’est accepter de ne pas tout maîtriser. C’est un apprentissage de l’humilité et de l’adaptation » — Sarah Huber
À Cottier, ce sont les plantes, les animaux, le vent et le soleil qui décident du programme. En été, une décoction de prêle ne se fait que très tôt, un matin sec. En hiver, les animaux sont nourris en fin de journée, juste avant les températures les plus basses, ils s’adaptent d’ailleurs très bien aux humeurs du climat. La « ménagerie » du mayen comprend des poules Appenzelloises huppées qui fait partie des espèces en voie de disparition que la Fondation ProSpecieRara essaie de sauver. Deux ânesses, trois chèvres col noir du Valais, et bien sûr les vaches d’Hérens qui montent en été depuis le village de Mission. Et puis il y a les abeilles, qui transhument elles aussi : un peu plus bas dans la vallée en hiver, à Cottier en été Le couple travaille également beaucoup à l’entretien de l’alpage, les coupes de bois pour se chauffer, le maintien du réseau d’eau, la réparation des parcs et des chemins sont des travaux incontournables. Stéphane descend travailler en plaine presque chaque jour, à pied, un moment savouré. Le soir le retour à Cottier est toujours un plaisir.
Un regard apaisé sur le chemin parcouru
«A Cottier je poursuis un chemin qui me mène toujours plus proche des autres vivants.»
La journée quand Stéphane est en plaine, Sarah vit dans ce qu’elle appelle un « silence peuplé ». Le vent dans les arbres, la rivière, les pas des bêtes, le bruissement des feuilles : ici, le silence parle. Elle passe de longues heures seule, mais jamais isolée. Quand elle repense à sa vie d’avant, Sarah ne parle pas de cassure. Elle évoque un fil rouge, un alignement progressif entre ses valeurs et ses gestes. « Tout ce que j’ai fait avant m’a menée ici. Je n’ai jamais eu l’impression de renier quoi que ce soit. » Aujourd’hui, elle se sent libre. Libre d’être ici, libre de se poser la question d’un ailleurs. Mais surtout, libre d’habiter pleinement le présent.
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